Les risques pour l’économie
L’économie béninoise est à la croisée des chemins. Sa santé est délicate quelque soit la rigueur du diagnostique. Si on doit évaluer son taux de croissance sur la période allant de février à août 2012, l’unité sera supérieur à sa valeur. C’est dans un tel contexte qu’une affaire de pot-de-vin vient ébranler l’entourage immédiat du chef de l’Etat. Il s’agit d’un dossier dans lequel, le Bénin, qui attend vainement les investissements directs étrangers pour doper sa croissance, joue très gros. Une réalité que le débat entretenu autour du sujet semble ignorer.
« Que celui qui compte économiquement et qui n’a jamais reçu un pot-de-vin lève son doigt… » disait Loïk le Floch-Prigent, ex Pgd de Elf Aquitaine (entreprise « faucille » publique française ayant pillé le pétrole africain) à l’occasion de la fameuse « affaire Elf » qui ébranlât les politiques français. Ce n’est peut-être pas un bon exemple, surtout en ce moment où l’intéressé est en délicatesse avec la justice togolaise pour une affaire d’escroquerie. Mais toujours est-il que Le pot-de-vin, loin d’être la norme, est toléré en affaire et des entreprises crédibles, pour ne pas dire vertueuses, y consacrent des lignes dans leur budget. L’essentiel, lorsqu’il n’y a pas de pépin, tout roule et chacun y trouve son compte.
Un projet rentable en difficulté
Si au finish, avec cette affaire de pot-de-vin qui éclabousse d’importantes personnalités au plus haut niveau de l’Etat, l’affaire montée par le groupe Hemos-Ciat capotait, le Bénin perdra un gros investissement. Plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa qui devraient mobiliser des entreprises de Btp, des ouvriers de plusieurs secteurs, des transporteurs, du fret, les entités publiques concernées, etc. risquent de faire pif ! Sans oublier toutes les activités et tout le petit commerce qui se développe autour d’un tel chantier. Inutile d’évoquer ce que rapportera à terme un port sec à Tori. Nous osons croire que le Bénin n’en arrivera pas là et que des mesures idoines seront prises en vue de colmater les brèches pour sauver l’essentiel de l’affaire. Seulement voilà, en dehors du chef de l’Etat, le procureur de la République, garant de l’application de la loi portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin peut en décider autrement.
La répétition des affaires est nuisible
L’économie béninoise n’a pas intérêt à ce qu’on agite souvent et autour du chef de l’Etat, des affaires de pot-de-vin. Car, ceux qui les paient, sont des investisseurs ou tout au moins de potentiels investisseurs. Et à l’heure où nous parlons il y en a qui en donnent ou qui sont sur le point d’en donner. Autrement dit, blâmer pour une affaire de pot-de-vin, tout en étant moralement un acte salutaire, reste ridicule aux yeux de certains qui comptent beaucoup dans le monde des affaires, donc en économie. Ainsi, en faire un objet de campagne médiatique dans le sens de redorer son blason est à terme contre productif à notre sens. Car certains potentiels investisseurs, donc donateurs potentiels de pot-de-vin, ont horreur des pays où ça se passe ainsi. Ce qui compte c’est comment faire en sorte que ceux qui prennent les pots-de-vin remplissent leurs engagements y relatifs en évitant le moindre pépin. Car, lorsqu’on sert l’Etat au plus haut niveau, il faut apprendre à défendre les intérêts publics qui passent par les siens propres. Pour les investisseurs, la responsabilité n’est pas moins grande. Car, au regard de la loi, le donneur de pot-de-vin qui tente de tuer le receveur, s’expose au même titre.
Le risque couru par Eric Hounguè et…
La loi n°2011-20 du 12 Octobre 2011, portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin dispose en son article 40 : «Est puni d’un emprisonnement de cinq (05) ans à dix ans et d’une amende égale au triple de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à un million de francs Cfa, tout agent public qui aura directement ou indirectement sollicité ou agréé des offres ou promesses ou reçu des dons ou présents ou autres avantages indus pour lui-même ou pour une autre personne ou entité, pour faire ou s’abstenir de faire un acte de ses fonctions ou de son emploi, juste ou non, mais non sujet à rémunération». Plus loin, la même loi stipule : «Outre l’amende, la peine est la réclusion criminelle à temps de dix (10) ans à vingt (20) ans lorsque la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées est égale ou supérieure à dix millions (10.000.000) de francs Cfa et la réclusion criminelle à perpétuité lorsque cette valeur est égale ou supérieure à cent millions (100.000.000) de francs Cfa». Et tout ceci est applicable au corrupteur, donc à Monsieur Eric Hounguè. Par ailleurs, la loi dispose en son article 42 : «Lorsque l’infraction est commise par …, toute autorité administrative ou judiciaire nommée par décret ou arrêté quelle que soit sa qualité ou son statut,…, la peine encourue est de dix (10) ans à vingt (20) ans de réclusion et une amende égale au triple de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues ou demandées, sans que ladite amende puisse être inférieure à cinq millions (5.000.000) de francs Cfa».
L’homme par qui le drame est arrivé
Le Pdg du groupe Hemos-Ciat, Eric Hounguè, promoteur du port sec de Tori est un Béninois ayant fait ses preuves à Abidjan en Côte d’Ivoire. La trentaine il a créé l’entreprise Hemos qui s’est associée à en partenariat avec la Compagnie internationale de l’aménagement de terrains (Ciat) pour donner naissance au groupe Hemos-Ciat. C’est ce groupe qui réalise le port sec de Tori. Avec une apparence emprunte de simplicité et de naïveté, Eric Hounkpè ne ressemble pas, à première vue à une personne amoureuse des aventures ambigües. Pourtant, c’est par lui que le drame arrive. Suivant les versions les plus probantes, c’est à la suite d’une dénonciation suivie de preuve que les mis en causes ont été confondus. Malgré le niveau atteint par cette affaire et les conséquences infinies qui la suivent, Eric Houguè est confiant et croit toujours en son projet. Lors de sa dernière conférence de presse, tenue le lundi 17 septembre 2012 au Bénin Marina Hôtel, Eric Hounguè, après avoir dénoncé les comportements qu’il qualifie d’anti développement, s’est dit déterminer à œuvrer pour l’aboutissement du projet qui lui tient à cœur plus que tout.
Notons que pour avoir dénoncé des personnalités au plus haut niveau de l’Etat, le Directeur de cabinet du ministre chargé des infrastructures portuaires, Bio Sawé, le secrétaire général de la présidence de la République, Edouard Ouin Ouro et le directeur général du Port autonome de Cotonou, Joseph Ahanhanzo ont été relevés de leurs fonctions. Aussi, d’autres personnalités de l’entourage du chef de l’Etat sont en disgrâce.
Ralf Zinsou