Le lourd tribut de la filière coton
Les produits chimiques, même prohibés, destinés à l’usage dans la culture du coton sont utilisés à d’autres fins et provoquent des conséquences allant jusqu’à la mort. Les mauvaises manipulations d’engrais et de pesticides entrainent un lourd tribut payé par tous, notamment les producteurs de coton ainsi que les autres agriculteurs, éleveurs, pêcheurs de leur voisinage. La faune, la flore ainsi que les ressources en eau en pâtissent.
Le coton est le produit agricole le plus vulnérable face aux assauts des insectes et autres ravageurs au Bénin comme au Burkina Faso. Principale culture de rente pour ces deux pays exportateurs, sa rentabilité exige le recours à l’usage « incompressible » de produits chimiques. Des engrais et des pesticides qui ont des effets immédiats et à long terme néfastes sur les producteurs, conduisent parfois à la mort. Et en plus, plusieurs sources dans le secteur affirment que la forte propension des producteurs à l’usage de l’endosulfan ou autres violents insecticides, malgré leur interdiction, relève d’autres réalités. En effet, en dehors du cotonnier, les agriculteurs utilisent tout ce qui est disponible et efficace pour la conservation des céréales et « cossettes » de tubercules d’igname ou de manioc qui sont très vulnérables face aux insectes.
« Quelques gouttes d’endosulfan dans un sac suffisent pour conserver durant quasiment un semestre tout vivrier vulnérable à l’assaut des insectes » a indiqué Assani Mazourou, cultivateur à Kérou, à plus de 800 Km de Cotonou, au Bénin, montrant du doigt un important stock de vivriers dans une chambre isolée des cases habitées.
C’était en juin 2011. Une efficacité recherchée en vain pour ce qui concerne les insecticides spécifiques des céréales tel le sofagrain, dont l’efficacité est remise en cause par la plupart des producteurs rencontrés sur le terrain au Bénin. Ainsi, les substances comme l’endosulfan destinées à tuer les insectes ravageurs du cotonnier se retrouvent dans les aliments à différentes doses. Lorsque la date de la consommation des vivriers n’est pas éloignée de celle du traitement à l’insecticide, on assiste à des intoxications alimentaires pouvant conduire à la mort.
La commune de Tchaourou, située à 300 Km environ de Cotonou, a régulièrement, enregistré ses cas de suicides collectifs au cours des cinq dernières années. Les communes de Bantè, Gogounou, Djougou etc, ont compté leurs énièmes morts en cette année 2011 au début de la campagne en cours. Aussi, sur le marché, il est impossible de savoir si le produit vivrier acheté a été traité ou non avec un insecticide violent, encore moins la date du traitement. Ainsi, la liste des victimes innocentes est longue au point qu’on peut affirmer, sans la moindre étude, que tous les Béninois et Burkinabés se sont intoxiqués au moins une fois, à doses diverses, à un insecticide du cotonnier. Puisque tout le monde a consommé plusieurs fois des produits vivriers en provenance de régions productrices de coton.
Quand le producteur s’accroche aux substances dangereuses
Dans la matinée du jeudi 1er septembre 2011, face à une équipe de reportage, Issifou Amoudou, producteur de coton dans la région de Kouandé, à environ 600 Km de Cotonou, dans le département de l’Atakora, au Bénin, vêtu d’une culotte et d’une chemise sans boutons, pulvérisant son cotonnier au pesticide « tihan », déclare : « L’endosulfan est un produit très efficace qui vaut mieux que le « tihan », actuellement distribué et entièrement subventionné ». Suivant ses explications, « l’endosulfan tue immédiatement les insectes ravageurs ainsi que d’autres animaux tels les vers de terre qui sortent du sous sol pour mourir aussitôt après un traitement... ». Or, le produit de substitution qu’est « le « tihan » a un effet lent et parfois pas du tout sur les insectes » explique-t-il.
Pourtant, le cotonnier qu’il affirme avoir traité au « tihan », présente à la vue un bon aspect. Les plantes y évoluent normalement et portent déjà les premières fleurs déjà en fin du mois d’août. Avec cet état d’esprit, certains producteurs de coton continuent de se ravitailler en produits prohibés.
Belco Latif, représentant la Centrale de sécurisation des paiements et de recouvrement de la filière coton (Cspr), dans les départements du Borgou et de l’Alibori au Bénin déclare : « Avec le caractère poreux des frontières autour du territoire national, le constat est que même les produits prohibés, comme l’endosulfan, sont encore disponibles dans les champs et même dans les maisons en régions agricoles en général et en zones cotonnières en particulier. Le marché nigérian est la principale source d’approvisionnement en produits prohibés… ».
Pour Assani Mazourou, cultivateur à Kérou, à plus de 800 Km de Cotonou, au Bénin, « Le tihan est un produit comestible. Il tue à peine les insectes et ne produit aucun effet insupportable sur l’homme, en tout cas, pas sur ma personne… ».
Selon les témoignages reçus par Freddy Houédokoho, ingénieur agronome, technicien spécial en appui à la gestion coopérative, intervenant dans le projet d’assainissement et de relance de la filière coton de l’Association interprofessionnelle de coton (Aic) à Kouandé, le nouveau produit tihan est utilisé par certains producteurs pour soigner certaines maladies de la petite volaille et même pour soigner l’homme. C’est le cas de certains producteurs qui imbibent de tihan le coton et le pose sur la dent en cas de carie dentaire. Affirmation insistante de producteur qui reste non vérifiée. Ailleurs, c’est les poux qu’on tue dans les cheveux avec des insecticides du cotonnier.
Victime par ignorance et/ou cupidité…
L’ignorance et la cupidité de certains producteurs conduisent à des actes répréhensibles qui ne font pas encore objet de poursuite judiciaire. En effet, entre autres actions répréhensibles, il arrive que des pêcheurs d’un genre nouveau utilisent des pesticides violents pour affaiblir dans les cours d’eau des poissons qu’ils pêchent par simple ramassage à la surface de l’eau.
Cette pratique a cours au Bénin, selon les témoignages recueillis, dans les communes de Savalou, à environ 230 Km de Cotonou, de Natitingou, à 550 Km environ de Cotonou et de Djougou, à près de 500 Km de Cotonou. Leur mode opératoire est tout simple. Il suffit de quelques goutes d’insecticide puissant dans un cours d’eau pour que quelques minutes plus tard sa surface soit envahie par des poissons tantôt morts, tantôt sérieusement affaiblis et se débattant. Des produits halieutiques ainsi ramassés sont généralement destinés à la consommation des pêcheurs insolites ainsi que leur voisinage et pire à la vente sur les marchés.
Selon Issifou Amouda, à Afon, dans la commune de Djougou, après la crue, lorsque le niveau des eaux baisse, il y a des personnes mal intentionnées qui utilisent des insecticides pour capturer les poissons dans une rivière qui se jette dans l’Ouémé, le plus grand fleuve du Bénin qui traverse quasiment tout le territoire. Ces indélicats ne sont pourtant pas des producteurs de coton habiletés à manipuler des pesticides du cotonnier.
Totian Iliassou, producteur de coton à Banikoara, à environ 750 Km de Cotonou, au Nord du Bénin, déclare : « Il arrive que des personnes que nous ne reconnaissons pas productrices de coton viennent se ravitailler en produits phytosanitaires, en petites quantités et au prix fort, auprès de nous …».
Ainsi, des produits dangereux se retrouvent dans des mains inappropriées qui en font usage sans respecter la moindre norme. Par ailleurs, il est visible dans toutes les régions cotonnières du Bénin qu’aucun champ de coton n’est isolé de ceux des vivriers de quelque nature que ce soit. Toute chose qui conduit à la contamination passive des récoltes de produits vivriers. Le risque est très grand lorsque le vivrier arrive à maturation pendant que le cotonnier continue d’être traité aux produits phytosanitaires a expliqué Belco Latif.
Il est important d’évoquer également le fait que certains producteurs du vivrier traitent leur champ aux insecticides du cotonnier, surtout en ce qui concerne les plantes quasiment de la même famille que le coton. C’est le cas du « gombo » ainsi que la plante qui produit la fleur utilisée pour la boisson dénommée « bissape ». Des témoignages rapportent aussi que des produits phytosanitaires du cotonnier se retrouvent souvent entre les mains des maraîchers qui les utilisent sur des produits à consommer crus.
Pour M. Freddy Houédokoho, soutenu par M. Belco Latif, les comportements répréhensibles du producteur ainsi que ses agissements par ignorance relèvent d’un entêtement qu’ils ne s’expliquent pas en tant qu’encadreurs avisés. Car, selon leurs affirmations, l’encadrement, tant du service publique que des associations soutenues par les partenaires au développement, sensibilise de manière continue tous les acteurs de la filière et plus encore les producteurs intervenant directement dans les cotonniers. Aussi, soutiennent-ils, qu’au cas où la sensibilisation ferait défaut, comment comprendre que les mauvais comportements conduisant à des suicides réguliers continuent malgré le lourd tribut déjà payé. Un tribut payé par l’ensemble de la société, particulièrement les producteurs eux-mêmes ainsi que leurs entourages. Ainsi, l’encadrement a encore du chemin à parcourir pour une filière moins meurtrière reconnaissent, désabusés, Messieurs Freddy Houédokoho et Belco Latif.
La santé des producteurs en grand danger
Le Gama 20, l’endosulfan, etc., sont des produits, autrefois utilisés de manière systématique et de façon résiduelle au cours de la dernière campagne cotonnière au Bénin et au Burkina Faso. De mémoire de producteurs de coton Béninois et Burkinabé, ses insecticides sont, de loin, les plus dangereux en matière de traitement phytosanitaire. Il s’agit de pesticides aussi « efficaces » sur les insectes ravageurs du cotonnier que certains producteurs, tant de la filière coton que des vivriers en sont nostalgiques au Bénin et au Burkina Faso où leur usage est pourtant interdit. En Occident, ce produit est déjà retiré de la liste des insecticides homologués dans le traitement phytosanitaire depuis le début de la décennie 80. Une période où le coton n’était pas encore le principal produit de rente au Bénin et au Burkina Faso. Les producteurs sont conscients de la dangerosité des produits au point que certains d’entre eux les utilisent pour empoisonner leurs « adversaires ».
Dr Issa Tapsoba, médecin, enseignant à l’université de Ouagadougou au Burkina Faso précise que ce ne sont pas seulement les fortes doses qui sont toxiques et dangereuses pour la santé animale en générale et humaine en particulier. « C’est le taux d’exposition très élevé qui présente des risques de contamination, donc de maladie » a-t-il précisé. Il reconnaît qu’il est difficile de faire un lien direct entre les pesticides et les maladies sans une étude sur le sujet. Il s’agit de maladies qui se déclarent bien plus tard, a-t-il ajouté. Pour ce qui concerne les malaises immédiats, chaque année, la formation sanitaire du Dr Tapsoba reçoit au moins 600 cas de malades par intoxication aux pesticides. Les intoxications interviennent par inhalation, par injection ou par pollution. Ces malaises immédiats se manifestent par des vomissements, des céphalées, des vertiges et parfois les individus sombrent dans un coma.
A 35 ans, Hamidou Sawadogo, producteur de coton burkinabé, commence à avoir peur des pesticides. Les vertiges et les céphalées sont les maladies quotidiennes après chaque traitement du cotonnier. Il est dans cette activité depuis son enfance. « Il arrive que le vent renvoie le produit sur nous, parfois nous nous évanouissons. Cela m’est arrivé deux ou trois fois déjà. » a-t-il affirmé.
Monsieur Madi Segda, dans la Sissili, à 163 Km au centre ouest de Ouagadougou au Burkina Faso, n’a pas eu la même chance. Cet élève coranique aurait succombé après une dure journée de traitement de cotonnier.
Les cas les plus graves de contamination aux insecticides conduisent en effet à la mort. Et ceci essentiellement pour ce qui concerne les producteurs qui utilisent lesdits produits chimiques sans prendre les mesures de protection indiquées tel le port de tenues spécifiques, allant des combinaisons vestimentaires jusqu’aux casques et cache-nez ainsi que les mesures hygiéniques indispensables à prendre après les manipulations. Pourtant, il n’est pas rare de voir des producteurs de coton soutenir le contraire.
Sié Coulibaly, producteur de coton dans la commune de Sidéradougou dans la province de la Comoé, à 600 Km de Ouagadougou, affirme que les gants ne permettent pas une manipulation efficace des produits et autres objets à l’occasion du traitement du cotonnier. Toutefois, certains producteurs rencontrés au Bénin et au Burkina Faso aimeraient bien prévenir des risques en utilisant les combinaisons de protection appropriées. Mais le manque de moyens ainsi que les questions de la disponibilité et de l’accessibilité restent de grands obstacles.
Environnement agressé et perturbé
L’équilibre de l’environnement en souffre aussi selon les chercheurs. Des études ont été conduites pour apprécier l’impact de l’usage desdits produits chimiques sur l’environnement. Ainsi, selon les Administrations des deux pays, des chiffres, généralement au dessous de la réalité, sont disponibles pour illustrer le lourd tribut payé par tous, notamment les producteurs de coton ainsi que les autres agriculteurs, éleveurs, pêcheurs de leur voisinage. Un cadre du ministère chargé de l’agriculture au Bénin parle de la « rançon d’une croissance économique mitigée ».
Suivant les témoignages des paysans, il arrive qu’on retrouve des cadavres de différents reptiles tels les serpents ainsi que des batraciens et vers de terre dans les champs de coton quelques heures après un traitement à l’ endosulfan entre autres insecticides. Or, nul n’ignore l’importance de ces espèces dans l’équilibre de l’écosystème affirment les scientifiques qui ont mené des études à l’instar du Dr Elisabeth Yèhouénou de l’Ecole polytechnique à l’université d’Abomey-Calavi au Bénin. Les conséquences de l’usage des pesticides dans le cotonnier sur la faune sont diverses. Abou Bio Gado Moussa, élève assistant son père dans le traitement d’un cotonnier à Banikoara, affirme qu’il arrive que les animaux de la volaille, élevés dans les voisinages, meurent par plusieurs dizaines après avoir picoré les cadavres d’insectes qui jonchent les champs traités aux insecticides violents. Le pire, affirme-t-il, est le cas du bétail, tels les bœufs, qui meurent après s’être abreuvés dans les eaux de ruissellement côtoyant les champs de coton traités quelques minutes avant une pluie. En 1995, dans la région Est du Burkina, des pesticides ont causé la mort de nombreux poissons dans des cours d’eau, rapportent des cadres de la Société des fibres et textiles (Sofitex), chargés par ailleurs de l’encadrement des producteurs.
Suivant une étude effectuée en 2000 par le Dr. Elisabeth Yèhouénou épouse Azèhoun-Pazou, chercheur à l’université d’Abomey-Calavi, sur « Les résidus de pesticides chimiques de synthèse dans les eaux, les sédiments et les espèces aquatiques du bassin versant du fleuve Ouémé et du lac Nokoué », le constat est alarmant. Sur 21 sites de prélèvement dans le fleuve Ouémé et dans le lac Nokoué ainsi que dans la lagune de Cotonou en aval, on constate que les eaux, leurs sédiments et leurs espèces halieutiques sont contaminés par une vingtaine de pesticides. A titre d'exemple, sur quatre espèces et neuf variétés de poissons pêchés dans lesdites eaux, aucune n'est épargnée par la contamination aux pesticides. Les plus présents sont l'Endosulfan, l'Aldrine, le Dieldrine et l'Hexachloroyclohexane sur la vingtaine identifiée. A quantité égale de poisons de différentes espèces, ces produits chimiques sont présents à doses variées mais "au dessus du seuil toléré par l'organisme humain en cas de consommation abondante". En d'autres termes, les pesticides sont dans les assiettes de tous les Béninois peut on affirmer à la lecture des conclusions de cette étude.
Ces contaminations sont très élevées au niveau des régions cotonnières au point de dépasser largement des seuils tolérables par l’organisme humain en cas de consommation des eaux ainsi que ses produits halieutiques. Pourtant, ces études révèlent qu’à la source, au niveau de la chute de Tanéka Coco, le fleuve Ouémé ne présente aucune contamination. Suivant les conclusions desdites études, la recherche propose, après expérimentation, que les populations consomment les produits halieutiques après les avoir fait frire. Méthode de cuisson qui élimine à plus de 90% les résidus de pesticides. Mieux que les autres formes de préparation allant de la cuisson à l’eau, par fumage jusqu’à celle par séchage au soleil. Cette dernière est plus acceptable que les deux précédentes. La cuisson à l’eau étant celle qui présente le plus de risque pour l’organisme humain.
Par ailleurs, cette même étude à recommandé l’interdiction de l’usage de l’« endosulfan » au Bénin. Cette recommandation faite devant le « Conseil économique et social » du Bénin aurait influencé la décision gouvernementale du remplacement de l’« endosulfan » pas le « tihan » rapportent des cadres du ministère chargé de l’agriculture. Ces résultats ne sont pas différents de ceux obtenus par un groupe de chercheurs qui ont conduit une étude sur l’« analyse écosystémique des effets de pesticides chimiques de synthèse sur la santé humaine en zone cotonnière au Bénin » en 2006.
« Il arrive que de vastes étendues de terres dégarnies, quasiment sans végétation, soient abandonnées à la suite de plusieurs années de culture intensive de coton dans certaines régions de grandes exploitations, notamment dans la partie septentrionale du Bénin… » a affirmé Monsieur Belco Latif, représentant la Centrale de sécurisation des paiements et de recouvrement de la filière coton (Cspr), dans les départements du Borgou et de l’Alibori au Bénin. En effet, il est facile de constater cet état de chose dans la commune de Banikoara, dans le département de l’Alibori à environ 750 Km de Cotonou. Cette commune étant la plus grande productrice de coton du pays. Au Burkina Faso, cet effet de l’usage des produits phytosanitaires sur la flore est perceptible dans plusieurs localités dont les terres sont abandonnées par des producteurs qui se livrent au « nomadisme agricole » selon les expressions d’un encadreur rural burkinabé.
La croissance économique a gagné
Les recherches effectuées par les universitaires Samuel Paré et Issa Tapsoba au Burkina Faso ont montré que les pesticides, même utilisés avec précaution, présentent des risques pour la santé des êtres vivants et les écosystèmes. Leur persistance et leur dissémination, auxquelles s’ajoute la tendance qu’ont certains pesticides à se concentrer dans les organismes en remontant la chaîne alimentaire peuvent aggraver leurs effets toxiques et avoir des incidences néfastes sur la santé et le bien être des humains. Ces produits se retrouvent aussi, à plus ou moins brèves échéances, dans les eaux souterraines. Les mêmes études effectuées dans les régions cotonnières du Burkina Faso, ont conduit aux résultats qui montrent que les eaux et les sols sont bien souvent contaminés.
M. Houédokoho, ingénieur agronome béninois, soutient que des études montrent que la toxicité à long terme des sols et leur acidité ne sont pas maîtrisables après plusieurs campagnes cotonnières sur une même terre. Selon l’Organisation mondiale de la santé (Oms) entre 0,4% et 0,8% des pesticides utilisés (chiffres variant selon la pratique d’utilisation et de pulvérisation) peuvent être lessivés pour polluer les eaux des rivières et les nappes. Ces fractions paraissent bien faibles mais ces substances principalement les hydrates de carbones chlorés, les nitrites… sont non seulement toxiques mais souvent chimiquement stables et ne se dégradent pas dans le temps. D’où un effet sur le long terme sur la qualité des eaux. La pollution de l’environnement provoque une contamination directe des êtres vivants.
Dans la pratique, les producteurs nettoient souvent, le matériel servant à pulvériser le cotonnier dans les mares et autres cours d’eau. « Allez-y au barrage, vous trouverez des bidons de pesticides » a lancé, déçu, M. Emmanuel Boni, acteur agricole à Koumbia dans le Tuy à 280 Km à l’ouest de Ouagadougou au Burkina Faso. « Vous voyez là bas, les producteurs de coton ont jeté des emballages dans le ruisseau, or en aval, les gens y puisent l’eau de boisson. » a confié un agriculteur du village de Badala à 352 Km à ouest de Ouagadougou en un point d’eau où a été jeté plusieurs emballages de pesticides.
Pour comprendre l’ampleur du dégât, il faut évaluer la quantité des produits enfouis chaque campagne cotonnière dans le sol pour une bonne appréciation. Au Bénin, suivant les chiffres de la Cspr, confirmés par les services du ministère de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, notamment la direction de l’agriculture, pour la campagne 2010 - 2011, l’Alibori, le département le plus producteur de coton, a consommé 1.046.779 litres de pesticides, tous produits confondus, sur 1.448.289 litres au plan national. Pour ce qui est des engrais, 29.234.950 kilogrammes sur 43.914.300 kilogrammes comme total national. Or, ladite campagne cotonnière est intervenue dans un contexte de chute drastique de la production selon le ministre béninois de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, M. Sabaï Katé qui met tout en œuvre pour relever la pente au cours de la campagne 2011 – 2012. Préoccupation bien partagée par son homologue burkinabé, Laurent Sédogo, chargé de l’agriculture, de l’hydraulique et des ressources halieutiques. Ainsi à court terme, l’objectif n’est pas à la réduction de la quantité de produits chimiques manipulés par les producteurs agricoles. C’est là autant de substances chimiques régulièrement enfouies dans les sols afin de promouvoir une culture de rente nécessaire à la réduction du déficit de la balance commerciale, donc à l’accélération de la croissance économique. Mais les conséquences sont aussi dramatiques.
Des échiffres qui préoccupent
Selon une étude effectuée par le professeur Mamadou Sawadogo, universitaire burkinabé, sur les effets des pesticides sur les hommes et leur environnement, on constate que le mal est là et mérite qu’on s’y attarde. En effet, sur un échantillon de 100 producteurs chargés des traitements phytosanitaires dans la zone cotonnière de Gourma au Burkina Faso, des maux de têtes sévères sont les symptômes les plus fréquents qui affectent 92 % des enquêtés. A cela il faut ajouter des cas de vertiges pour 83 %, de tremblements des mains pour 54 %, de nausées ou vomissements pour 21 %, de troubles de la vue pour 21 %. Aussi, note-t-on des cas de transpirations excessives pour 13 %, une tendance à l’étourdissement pour 8 % et une hyper-salivation pour environ 8 %. Une étude que les chercheurs souhaitent étendre à plus de producteurs de coton afin de disposer d’outils de lecture plus approfondie sur la situation en vue de mettre plus d’éléments d’appréciation et de prise de décision à la disposition des pouvoirs publics.
Aubin R. Towanou,
(Avec la collaboration du journaliste burkinabé Abdou Razak Napon)
Enquête réalisée avec le soutien de
« Danish Association for Investigative Reporters » (FUJ)